mercredi 3 novembre 2010

Notre vie sur le pouce

Cette semaine, on parlait dans le journal de la grève des responsables des garderies en milieu familial. Ce sont des centaines de parents qui devront modifier leur horaire, voire même prendre congé, pour s’occuper de leur enfant en attendant la fin des pourparlers. Mais sincèrement. Qui voudra vraiment s’absenter du travail? Il ne fait aucun doute que beaucoup de grands-parents seront sollicités cette semaine. Des grands-parents qu’on a probablement omis d’appeler depuis un bon moment. Parce qu’il y a le travail, les heures supplémentaires, les devoirs du petit, les rendez-vous, les cours de danse, de piano, de soccer, les réunions, les dîners d’affaire, etc. qui nous plongent dans un brouillard à travers lequel les liens familiaux se dissipent trop souvent. Notre société survoltée nous oblige littéralement à mener une vie sur le pouce aux dépends de nos relations avec notre entourage.

            Qui n’a jamais eu l’impression, le soir venu, de croiser son conjoint, son enfant, son frère ou sa sœur pour la première fois de la journée? On vit dans la même maison et on ne semble que véritablement se voir le temps d’un souper, parfois même lors d’une rencontre fortuite, devant le lavabo de la salle de bain en se brossant les dents avant d’aller au lit. Parce que, en dehors des heures de travail et de l’école, on se voit le matin entre deux bouchées de céréales, on se lance des « Bonne journée! » et des « Je t’aime! » sur le pouce… les obligations de la journée naissante occupant déjà toutes nos pensées. Compte-rendu, conférence téléphonique, rapport d’intervention… Le nouveau vocabulaire de l’amour. La carrière occupe une place démesurée qui nous plonge dans la bulle hermétique du professionnalisme et qui nous transforme en espèces de zombies stressés et irritables. On est comme programmés pour accomplir une série de tâches et tout ce qui n’en fait pas partie se perd au-delà du seuil de l’édifice à bureaux.

            C’est une chose que les adultes suivent un horaire rigoureux, mais c’en est une autre que d’en infliger un tout aussi exigeant à ses enfants. Car même les petits sont soumis à ce rythme effréné. Ils sont inscrits dans le programme de langues de leur école où on leur demande de performer, ils vont au service de garde le matin et le soir, quand on vient les chercher à la fin de la journée, c’est pour les transférer d’une obligation à une autre. C’est la mode des activités parascolaires. Chaque soir est une nouvelle occasion pour développer le plein potentiel de son enfant. C’est bien beau tout ce talent, mais est-ce que le fait de conduire son jeune tous les soirs de la semaine à ses activités est suffisant pour entretenir une bonne relation avec lui? Ce n’est pas lors d’une conversation sur le pouce dans l’auto entre l’école et le terrain de soccer que la magie de l’éducation va s’opérer. Payer des cours à ses gamins, ce n’est pas leur donner de l’attention. C’est peut-être plutôt se donner l’impression qu’on est de bons parents en trouvant le moyen de les tenir occupés le plus souvent possible.

            On est tellement surchargés par les obligations, qu’on en vient même à avaler des médicaments pour tenir le coup. Si même notre corps, cette machine si complexe et si perfectionnée n’arrive pas à surmonter ce rythme de vie, c’est peut-être d’aller contre nature que de s’infliger autant de pression. Personne n’est obligé de faire du cinquante heures semaine. Dans la vie on a toujours le choix. La famille n’est pas un dossier que l’on peut ranger au fond d’un classeur ou remettre à plus tard.  Il faut dès maintenant lui accorder le plus de temps possible, en particulier aux enfants, avant qu’ils ne réalisent que notre patron se mérite plus de faveurs qu’eux. Parce que les repas sur le pouce que l’on oublie trop longtemps dans le micro-ondes, ça finit toujours par éclater.

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